Tu es encore là, toi ? Tu me laisses pas de répit, hein. C’est quand que ta personnalité numéro deux décide de te tuer ? Jamais ? Oh… Tant pis. Je parle. J’ai que ça à faire, débiter ta vie de merde, après tout. Donc, tu t’es réveillée ce matin, c’était l’aube, et les rayons du soleil pâle et rosé se renversaient sur ton pelage gris, qui avait des reflets bleutés et blablabla… Un jour tu m’expliqueras à quoi ça sert que je dise que ce matin tu te sois réveillée à l’aube ou non ? Quand tu vas mourir personne ne se souviendra jamais de toi, à moins que tu tisses des vrais liens avec un vrai quelqu’un, pas Eyther par exemple. Tu aimes toi aussi. Enfin, la Conscience aime. Ta personnalité, parfois on se demande si c’est la Conscience ou l’autre Quartz, la dépressive. On aimerait bien dire que c’est la Conscience, mais même moi je suis pas sûr. Alors je vais pas émettre d’avis constructif là-dessus.
Je vais pas raconter le moment où tu as mangé ta souris, si quelques gouttes de sang sont tombées sur le sol, si tu avais assez mangé après ou non, on s’en fout. Mais alors complètement. Oh, mais non, faut pas te vexer ! Je voulais pas dire ça. Bon, ça va, je vais faire un récit barbant et monotone.
Tes pas étaient lents. Tes grands yeux bleus pétillaient d’impatience de contempler ce monde nouveau, car le monde pour toi était différent chaque jour. Tu étais la Conscience aujourd’hui. La gentille qui n’est pas folle. Tu sens que ça te démange juste là, derrière l’oreille, une puce sans doute. C’est la faute aux autres chats qui dorment avec toi, et certains n’ont aucune hygiène corporelle… Tu te grattes avec frénésie, tout en les maudissant, même si tu aimes bien la plupart. Ta langue rose et râpeuse passe sur ton museau, et tu sens que tu as soif soudainement. Tu vas à la rivière, toujours sans te presser. Tu n’as aucune raison de te presser, tu vis ta vie tranquillement, toujours sans contrainte, toujours sans obligations. Cela te convient mieux.
Une brindille craque sur ton passage. Tu n’as pas l’intention de chasser, alors à quoi bon être discrète ? C’est pas ton point fort, toi, la Conscience, tu aimes quand on te remarque, tu aimes être vue par tous les chats. Mis à part ça, toi tu es normale, tu n’es pas folle, et tout le monde le remarque. Ils se demandent à quand le prochain changement de comportement brutal. Tu es trop instable, je te l’ai déjà dit. Un jour, si toi, la Conscience, tu arrives à prendre entièrement et à jamais le contrôle de ce corps, peut-être que tu ne deviendras pas comme les vieux fous qui sont sur cette île. Un jour tu guériras peut-être, tu l’espères. Enfin, Quartz l’espère, toi, la Conscience, tu veux juste être maître de ce corps. Tant que Rayon est là ce ne sera pas possible. Il faut le faire disparaître.
Tu bois goulument l’eau claire et fraîche de la rivière. C’est pas comme certains fous qui boivent l’eau de l’océan. C’est complètement con, de boire un truc aussi dégueulasse. Oh, tu l’as fait étant chaton, tu ne t’en souviens pas mais moi si. Tu as failli vomir partout tellement c’était pas bon, et plus jamais t’as retouché cette eau avec ta langue. Et y en a qui le font en oubliant chaque fois à quel point c’est dégueulasse. Tu les trouves bizarres, mais ils sont pas tous méchants. La plupart sont juste un peu perdus, ils ne savent pas où ils en sont. Toi tu as la chance d’être un peu moins folle que les autres. Quoique, on ne sait pas si c’est une chance. Là t’es consciente que c’est la merde pour toi, alors qu'Eyther s’en rend pas compte, il divague. Toi non.
Donc, l’eau est fraîche, et tu bois, penchée au dessus de la rivière, quand soudain tu entends un bruit. Oh, ici, sur l’île, le moindre bruit est un danger. Il faut être constamment vigilant, sur ses gardes, et toi tu n’échappes pas à la règle ; tu bandes tes muscles, un fou peut se cacher derrière un bosquet et te sauter dessus à n’importe quel moment. Tu pourrais te noyer dans les cinq centimètres de profondeur de flotte. On sait jamais, toi t’as pas la force de riposter. Bref, tout ça pour dire, tu commences à flipper, t’arrêtes tous tes mouvements, et tu te retournes, avançant un peu pour t’éloigner de l’eau qui peut devenir un danger. Et tu remarques, c’est Aurore Hivernale, elle c’est pas une folle, et toi tu lances :
- Salut, Aurore Hivernale.
Tu t’inclines, par respect, pour ce qu’elle fait pour la communauté et pour vous les fous. Tu souris, mais de ce sourire un peu triste, dans tes yeux on lit sans mal que ça ne te satisfait pas. Tu sais que tu n’es pas folle, mais ton autre personnalité l’est, alors… Tu es considérée comme folle. Pauvre toi. Petite chose innocente et condamnée. Ça va, j’arrête. Tu t’assois, tu te détends un peu, tu n’as pas peur d’elle. Tu as peur des fous, mais pas d’elle, parce que tu la considères comme ton semblable. Elle est ton semblable. Tu n’es pas folle et tu le prouveras.