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J'étais en train de dormir. Je crois. C'est un coup de patte qui a fait effet remue ménage sur moi: "Allez, debout Camus ! Tu traines. On va bientôt y aller, prépare-toi." Bah du coup j'ai ouvert les yeux pis j'ai regardé mon copain. "Aller où? C'est encore l'heure du dodo..." Mais il m'a dit que j'avais pas à me rendormir, que c'était important. D'accord. [...] Je me suis donc levé, mais c'était pas par plaisir. Tout le monde autour qui me bousculait parce qu'il était pressé, ou parce que "C'est plus l'heure de dormir !" qu'ils disaient. Bah. Y a pas d'heure pour dormir. Moi je m'étire, je fais le gros dos même, et puis je plante mes griffes dans la terre fraîche pour bien décontracter mes muscles et tout ce qui suit. Je commence réellement à me réveiller quand Aurore Hivernale arrive vers moi, sans prendre la peine de m'adresser la parole. Mais c'est pas grave: je comprends très bien ce que ça veut dire. Je vois où elle veut en venir. Enfin non, en soi, elle n'a pas voulu en venir. On lui a imposé. Comme on a imposé à tous les autres de partir avec moi en patrouille. Elle se dirigeait vers la clairière, l'air décidé. Je l'ai suivi.

***

Elle marche vite, trop vite. Soit elle est pressée d'en savoir plus sur ces chats bizarres chez qui ça ne va plus très bien dans la tête, soit elle cherche à distancer les queues de renard qui nous séparent. Je préfère ne pas y penser tout simplement et me complaire à regarder l'environnement qui m'entoure. Il fait beau. La brise est douce et voir l'herbe bouger au gré du vent m'est agréable. Je suis content quand je vois la flore en mouvement, je ne sais pas pourquoi... Peut-être que ça me rappelle que je ne suis pas tout seul à vivre.

-Eh dis, tu pourrais ralentir un petit peu, non? Je ne peux pas protéger quelqu'un qui est si loin de moi.

Je ne sais pas si elle m'a entendu. Aurore Hivernale a accéléré de plus belle...

Et sa réaction suivante a été très bizarre. Je n'ai pas su comprendre.

-Mais je ne veux pas qu'on me protège, ça personne ne le comprends, mais je peux me protéger seule! Pourquoi, pourquoi tout le monde pense que parce que je suis comme je suis, je ne suis pas capable de me battre? Hein pourquoi?

-Tu sais, moi je protège parce qu'on me l'a demandé. C'est mon devoir, le truc qu'il faut que je fasse. Protéger était ce que je réussissais le mieux, il parait.

-Écoute ne compliquons pas la chose, finissons au plus vite et rentrons au plus vite, j'ai une chose importante à faire qui ne peux attendre!

Je devrais me sentir désolé, mais à la place je me sens curieux. Quoi de plus important que de s'assurer de nos barrières avec les Atteints? Je me le demande. Je la regarde, encore. Aurore Hivernale a ralenti. Je ne comprends pas non plus pourquoi. Elle avait accéléré. Aurait-elle changé d'avis? Je tique. J'augmente ma cadence pour rattraper ses côtés chargés d'un sentiment angoissé.

-Tu as peur? ai-je fait. La peur nous fait faire des choses inexpliquées.

C'était inhabituel. Je ne connaissais pas ce trait de caractère chez Aurore Hivernale. Cette instabilité qu'elle a, ces changements d'humeur rapides comme l'éclair. C'est intimidant, et en même, non. C'est même quelque chose qui éveille chez moi une véritable envie de protéger.

-Et que quoi voudrais-tu que j'ai peur? Et pis au pire je suis avec un Garde...

-Mais le Garde c'est moi. Et si tu refuses d'être protégée, alors tu es toute seule. Être seul ça fait peur à tout le monde. Faut pas être tout seul !

Et c'est pas bien d'être seul. Surtout dans ce monde. Je ne comprends pas ceux qui sont seuls par choix. Qui sait vivre avec la solitude? Moi je n'y arrive pas, j'en suis incapable. Aurore Hivernale saurait, elle? Il faut qu'elle me dise.

-Des barrières, y en a déjà bien assez autour de nous pour nous protéger des méchants. Alors tu ne voudrais pas abaisser un peu les tiennes?

Puis je lui souris.

J'avais l'impression de lui montrer quelque chose de nouveau. Son attitude, ses gestes face à mes raisonnements, étaient ceux de quelqu'un qui ne s'attendait pas à ça. Et je crois que moi non plus. D'habitude les autres chats ont l'habitude de me prendre pour le clown de service, l'idiot rêveur qui est toujours au bout de la queue. Là, au bout de la queue, je le suis. Mais quand on est si peu, je parviens enfin à me faire entendre de ceux qui se trouvent devant moi.

"-D'accord, mais je ne l'ai jamais fait alors ne t'étonne pas si je ne suis pas très..heu..comme tu l'attends, quoi."

J'ai ris dans ma moustache. Je ne m'attendais à rien. J'étais prêt à accepter ce qui allait se passer. Je ne fais jamais rien pour retenir mes gaffes, alors je ne ferai rien pour retenir sa nature. On est ce qu'on est, et je pense que le plus important est de le rester plutôt que de se forcer à changer.

-C'est plutôt chouette comme première fois, non? Peut-être que toi aussi tu découvres. C'est drôle, j'ai l'impression que la vraie mission pour laquelle on nous a envoyé ici n'est pas celle qu'on croit.

Et au plus j'y réfléchis, au plus je me dis que mes paroles ne sont pas complètement dénuées de sens. Je me sens observé.